Sidi Bouzid : mutations des systèmes agricoles et déstructuration de la société rurale. Quels enjeux pour une production alimentaire durable ?

Rédigé par Ahmed FERCHIOU, doctorant CIHEAM-IAMM
Article rédigé au sein de sa thèse réalisée dans le cadre du projet MEDINA*

La Tunisie a connu après son indépendance une transition démographique importante (la population a doublé entre 1960 et 1990). Ainsi la fin des années 80 a été marquée par l’aggravation du déficit de la balance commerciale suite à l’augmentation de la facture alimentaire.

Sous pressions d’institutions financières, la Tunisie a adopté en 1986, le plan d’ajustement structurel qui a donné une place importante aux réformes agricoles. Un ensemble de réformes reflets de la volonté étatique d’orientation vers le libéralisme et porteurs d’un processus de modernisation agricole qui a reposé essentiellement sur l’exploitation des ressources naturelles et les améliorations techniques provoquant de profondes mutations agraires dont : La privatisation des terres ayant conduit d’une part à la raréfaction des terres de parcours et la mutation de la société pastorale à une société agropastorale, et d’autre part à la mise en circuit économique des terres. A cela s’ajoute une libéralisation progressive de la ressource hydro agricole marquant d’avantage une agriculture Tunisienne à deux vitesses (une agriculture capitaliste productive et une agriculture familiale diversifiée). L’ensemble de ses mesures productivistes a néanmoins permis à la Tunisie de bien se positionner en termes de sécurité alimentaire avec moins de 5% de la population sous-alimentée. Cependant, les études sur la santé mettent de plus en plus en évidence l’importance des maladies chroniques liées à l’alimentation, nous renvoyant vers le caractère non durable du régime alimentaire Tunisien.

Pour mieux illustrer ces mutations et les menaces encourues en termes de production et de consommation, nous prenons l’exemple de Sidi-Bouzid, zone aride à dominante rurale des hautes steppes Tunisiennes. Sidi-Bouzid a connu un développement agricole important à partir de la fin des années 80, faisant d’elle un des plus importants bassins de production agricole du pays. Ce développement de l’agriculture, opéré par le biais de l’intensification par irrigation et privatisation des propriétés foncières, n’a pas abouti au développement d’autres secteurs ni à pallier à la faible diversification du tissu économique de la zone. Paradoxalement ; Sidi-Bouzid est très touchée par le phénomène d’exode rurale dont la raison principale est la recherche d’emploi et souffre en même temps d’une crise de la main d’œuvre agricole. Quant au secteur agricole, qui emploie plus de 40% de la population active de Sidi-Bouzid ; cette région doit faire face à une crise provoquée par la surexploitation des ressources hydroagricoles et des terres de parcours et qui témoigne des limites du développement rural qu’a connu Sidi-Bouzid. Cette crise est aggravée par des incertitudes climatiques qui prévoient pour l’horizon 2020 une baisse de la pluviométrie annuelle de 7 mm et une augmentation de 1° C.

Ainsi les mutations opérées au niveau des structures de production ont généré des formes de déstructuration de la société rurale. Passant d’un système traditionnel homogène de producteurs pastoraux ayant une faible productivité et dont l’alimentation reposait essentiellement sur l’autoconsommation ; vers un système mixte agro pastoral qui produit plus mais dont l’alimentation et la production sont dépendantes du marché à des degrés différents.

Ainsi, ont été observées plusieurs réponses aux défis du changement structurel dans un contexte de globalisation à Sidi Bouzid, dont les plus marquants ont été le recours à l’irrigation, la pluriactivité, la réduction de la taille des cheptels, mais également une alimentation basée de plus en plus sur le marché. Aujourd’hui ; les ménages producteurs de Sidi-Bouzid d’aujourd’hui (Et éventuellement dans d’autres pays méditerranéens similaires), peuvent être classés comme suit :

  • Des ménages producteurs consommateurs : souvent associés au système de production pluvial extensif dominant et traditionnel dans la région; leur principale source de revenu agricole est l’élevage ovin.
  • Des ménages producteurs consommateurs marchands : associés à un système de production semi intensif à intensif en intrants, la principale source de revenu agricole de ces ménages est le maraichage irrigué.
  • Des ménages producteurs marchands : associés à un système de production intensif à hyper intensifs ; leur principale source de revenu agricole est l’arboriculture fruitière irriguée.

Ces 3 modèles de ménages ruraux coexistent aujourd’hui au sein d’un même territoire. Nous pensons qu’un ensemble de solutions doit être orienté et ciblé pour chaque modèle, comme par exemple le suivi de l’exploitation des ressources des ménages producteur marchands, le développement d’un tissu industriel agro-alimentaire pour les cultures pluviales des ménages producteurs consommateurs et la promotion de la diversité produite des ménages irrigants.

D’autres solutions transversales ou nationales peuvent également être envisagées, comme la promotion de la consommation de produits « efficaces » sur le plan nutritionnel, ou la création de coopératives de services pour le travail agricole.

Après la révolution; les pouvoirs publics se sont de plus en plus intéressés au caractère durable de la production alimentaire. L’état qui a toujours entrepris des efforts sans contributions effectives et simultanées de différents acteurs, se doit :

D’ une part de prendre en considération la diversité des acteurs notamment à Sidi Bouzid ou le premier et second système  (familiaux) occupent une importance géographique et le deuxième et troisième système une importance économique (systèmes les plus productifs); Et D’autre part de concevoir des réformes associant les différents acteurs des différents secteurs.

*: le projet MEDINA (ANR-12-TMED-0004) bénéficie d’un financement d’Agropolis Fondation et de l’ANR.

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