Comment le COVID-19 a mis en exergue les problèmes structurels de l’agriculture tunisienne ?

Article rédigé par Zied Ahmed, Agroéconomiste 

Pour tenter d’éradiquer le COVID-19 du territoire national, le gouvernement tunisien a pris une armada de mesures préventives qui ont eu un effet immédiat sur le dynamisme de certains secteurs économiques. Le confinement de la population, le couvre-feu et l’obligation d’avoir une autorisation spécifique pour pouvoir se déplacer en voiture sont des décisions, entre-autre, qui ont impacté l’agriculture tunisienne mais qui ont également mis en exergue 4 problèmes structurels du secteur agricole national :

L’importance du travail informel dans le secteur agricole : les transporteurs, maillon essentiel dans les filières des produits frais, travaillent majoritairement dans l’informel : ils n’ont pas de patente et ils ne respectent aucun cahier des charges pour le transport des produits agricoles (parce qu’il n’en existe pas). La décision d’imposer aux transporteurs des produits agricoles une autorisation spécifique pour le transport de ces produits sur le territoire tunisien a fortement découragé ces derniers à exercer leur travail habituel parce que pour obtenir cette autorisation, il faut avoir le statut d’un commerçant ou d’un agriculteur.  Ainsi, la logistique des produits frais a été fortement bouleversée provoquant une faible alimentation du marché de gros en produits frais et par conséquent l’effondrement des prix des produits agricoles chez les producteurs et une augmentation spectaculaire chez le consommateur (il faut dire aussi que la décision d’ouvrir le marché de gros 3 jours par semaine uniquement et la faible demande nationale suite au confinement de la population ont eu un impact important sur la chute des prix et l’écoulement des produits).

Par ailleurs, ce qui a également compliqué l’obtention de cette autorisation, c’est le manque de clarté sur l’instance délivrant l’autorisation spécifique. Les transporteurs ne savent pas à qui ils doivent s’adresser : la police nationale, le ministère des transports ou l’UTAP ?

L’absence d’un statut pour les métiers d’agriculteur et de pêcheur : personne, en Tunisie, ne peut définir aujourd’hui ce qu’est le métier d’agriculteur. Aucun texte juridique n’a été élaboré pour cadrer cette activité économique qui peut être exercée par tout le monde : un fonctionnaire de l’Etat, un médecin, un avocat, un député, un homme d’affaire, n’importe qui, peut aujourd’hui acheter un terrain agricole ou une barque, se revendiquer comme agriculteur ou pêcheur et bénéficier des subventions de l’Etat en tant qu’agriculteur.

De ce fait, la décision d’exonérer les agriculteurs et les pêcheurs de l’autorisation spécifique pour le transport des produits agricoles mettra les institutions de l’Etat dans une situation embarrassante : comment prouver que X est un agriculteur ?

Le rôle des syndicats dans le secteur agricole : le ministère de l’agriculture a accordé uniquement à l’UTAP la possibilité de délivrer les autorisations de circulation aux transporteurs, aux agriculteurs et aux pêcheurs et ce sans donner au SYNAGRI, second syndicat, la possibilité d’en faire de même. Cette décision a provoqué la colère des responsables du SYNAGRI qui ont décidé de porter plainte contre le ministre de l’agriculture. Mais est-ce le rôle des syndicats de délivrer de telles autorisations ? Et quand est-il des agriculteurs non syndiqués ?

La désorganisation des agriculteurs : l’absence de coopératives agricoles capables de commercialiser les produits de leurs adhérents explique la situation actuelle des filières de produits frais en Tunisie dans ce contexte d’urgence sanitaire : problèmes d’écoulement sur le marché, des syndicats qui font la loi, des transporteurs absents et des prix en baisse.

J’espère que cette situation d’urgence provoquée par le COVID-19 fera réfléchir à la fois nos agriculteurs et nos dirigeants au ministère de l’agriculture sur les problèmes structurels de ce secteur stratégique pour la survie de la nation.

 

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