Papa, l’agriculture c’est pour toi, Moi, j’y vais !

16-31-IMGP2401Article rédigé par Zied AHMED, agro-économiste

Nous sommes à Zarzis. A quelques 500km au sud de Tunis. En arrivant de Médenine, nous sommes accueillis par les oliviers qui décorent à droite et à gauche la plaine.

Il faut savoir que Zarzis est la première délégation au Gouvernorat de Médenine en termes de production d’huiles d’olives. Les huileries dressées sur le bord de la route et au milieu des oliviers s’apprêtent à accueillir les olives. L’instabilité de la production oléicole a poussé les oléiculteurs zarzisiens à se diversifier. Plusieurs d’entres eux sont des éleveurs ovins, caprins, bovins ou même des maraichers. Mais la règle générale et ancestrale reste l’oléiculture.

Nourredine est agriculteur. Les rides sur le visage du quinquagénaire et les cicatrices sur ses mains témoignent des années qu’il a passé à travailler sa terre et à caresser son cheptel. Il vit à Zarzis avec sa femme et ses deux garçons : Bilel et Amine. Je l’ai rencontré à Zarzis. Nos discussions nous ont vite amené à parler du sujet des jeunes et leurs relations avec l’agriculture. A ce sujet, il m’a raconté une histoire que j’ai voulu partager avec vous. L’histoire d’une jeunesse en détresse et d’une agriculture vouée à la disparition. L’histoire d’une confiance disparue entre les jeunes et l’Etat. L’histoire d’un père qui lance un cri alarmant pour sauver ce qui reste de la Tunisie agricole.

Amine avait 21 ans. Il s’est contenté de ses études au lycée. L’absence d’opportunité de travail l’a poussé à trainer dans les ruelles de Zarzis à l’image de plusieurs jeunes de son âge. Nourredine, son père, n’a pas accepté cette situation. Après ses différents essais de lui trouver un travail en ville, il a, enfin, réussi à le convaincre à s’installer en agriculture, à reprendre l’exploitation familiale. Amine, rongé par le désespoir, est alors motivé pour refaire la même carrière que son père. Il voyait dans l’agriculture le secteur qui lui permettrait de réaliser ses rêves de jeunesse.

Amine avait quelques bases en agriculture. Son père lui proposa d’aller faire une formation au seul centre dédié au Gouvernorat, le centre d’El Fjé à l’Institut des Régions Arides de Médenine. Avec un ton énervé, Nourredine m’a décrit le périple qu’endossait Amine chaque matin pendant ses mois de formation : « Le centre était à 80 km de chez nous. Il devait se lever le matin tôt, faire de l’auto-stop pour se rendre à Zarzis, puis attendre une heure pour monter dans un louage en direction de Médenine et enfin prendre un autre moyen de transport pour arriver à El Fjé ». « Il voulait arrêter. Il était fatigué. Il en avait marre de ce voyage qu’il répétait matin et soir. Mais j’ai réussi encore à le convaincre en lui déléguant quelques responsabilités dans la ferme pour l’impliquer et l’encourager, et ça a marché ! », continua le quinquagénaire avec un sourire sur le visage qui rappelait l’espoir qu’il avait à l’époque. Il était content de voir son fils aller au bout de sa formation. C’était le seul moyen pour Amine d’accéder à un crédit agricole et de s’installer à son propre compte en agriculture.

Une fois la formation terminée, Amine, accompagné par son père, a décidé de monter son dossier de demande de crédit. Son souhait était d’avoir son propre projet, sa propre source de revenu pour une vie meilleure. Paperasse, signatures, va et vient entre les administrations régionales étaient ses principales activités pendant quelques mois. « C’est pas grave » disait Nourredine, « L’essentiel pour nous était le montage d’un dossier complet comme demandé par les fonctionnaires ». Selon le père, ce qui a réellement dérangé Amine était la procédure de montage du dossier qui n’était pas explicite. Les allers-retours sur les administrations étaient récurrents et cela a failli à un certain moment, décourager Amine.

Content d’avoir constitué son dossier, Amine entama alors la dernière étape, la validation. Pour lui, obtenir le crédit était évident. Il était fils d’agriculteur, il possédait un terrain, il était formé et il était jeune. Ce n’était qu’une question de temps. Quinze jours ou un mois au maximum devaient suffire pour avoir une réponse. Hélas, l’attente s’est avérée plus longue. Les trois mois dépassés, Amine et Nourredine ont commencé à relancer l’administration régionale. Puis, les responsables nationaux. Mais en vain.

Il a fallu 7 mois pour avoir une réponse. Et quelle réponse ! L’autorité en question a refusé la demande de crédit d’Amine. Pourquoi ? Le jeune n’a pas cherché à comprendre. « Muni de la réponse officielle dans sa main, il est venu me voir dans la ferme. Je voyais sur son visage un grand désespoir. Il m’a donné le papier, et sans me laisser le temps de lire, il m’a dit : Papa l’agriculture en Tunisie c’est pour toi, moi j’y vais » racontait Nourredine, les larmes aux yeux reflétant son chagrin pour le départ de son fils. Amine est parti quelques mois après. Il a traversé la mer pour aller de l’autre côté de la Méditerranée, à la recherche d’un nouvel espoir, d’une vie meilleure.

Nourredine finit son histoire, en me racontant, avec un ton tendu et un visage rougeâtre, sa dernière intervention dans un meeting régional : « C’est pourquoi, lors d’une conférence organisée par le CRDA à Médenine sur le secteur oléicole et à la suite de l’intervention d’un responsable vêtu d’un costard cravate qui proposait des solutions pour rajeunir les oliviers de Zarzis, je leur ai dit, Monsieur, il faut rajeunir les agriculteurs et non pas les oliviers, encourager les jeunes à travailler l’agriculture. Sans l’agriculture on mourra de faim. Nous sommes devenus vieux et sans les jeunes vous ne trouverez personnes pour s’occuper de vos jeunes oliviers ».

C’est la triste réalité de l’agriculture tunisienne aujourd’hui. Une réalité, qui, apparemment n’inquiète personne au Ministère de l’Agriculture.

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